Romans

Œuvres romanesques complètes, tome I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1990.

Œuvres romanesques complètes, tome I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1990.

Ce volume contient :

Premier rêve signé
Écho
Les Rides
Provinciales
L'École des indifférents
Les Contes d'un matin
Simon le pathétique
Elpénor
Suzanne et le Pacifique
Siegfried et le Limousin
Juliette au pays des hommes
Bella
Églantine
La Grande Bourgeoise
Appendice : Premiers écrits

Œuvres romanesques complètes, tome II, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994

Œuvres romanesques complètes, tome II, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994

Ce volume contient :

Aventures de Jérôme Bardini
La France sentimentale
Combat avec lu2019ange
Choix des élues
La Menteuse
Oeuvres cinématographiques :

le film de La Duchesse de Langeais
le film de Béthanie
Appendices : Mitrah, Mitra, Les Lépreux, Le Mal de la terre

Aventures de Jérôme Bardini, Livre de Poche, 1994 (1ère édition : 1930)

Aventures de Jérôme Bardini, Livre de Poche, 1994 (1ère édition : 1930)

« L'orgueil n'est pas la vanité. C'est une nausée à l'idée de la création, une répulsion pour notre mode de vie, une fuite de nos dignités, c'est une modestie terrible. »

 Aventures de Jérôme Bardini ou l’histoire d’un homme qui décide un beau jour de fuir la banalité du quotidien en abandonnant femme et enfant, sa situation, et même son identité. Sur son chemin, une jeune fille, Stéphy, un enfant errant, le Kid. Ce roman de 1930, composé en triptyque (« Première disparition », « Stéphy », « The Kid ») déconcerte le lecteur en quête d’aventures. Quand Stéphy, son éphémère compagne l’abandonne à son tour, Jérôme découvre un petit garçon dans un square new-yorkais. Ce couple étrange et silencieux s’entoure d’une sorte de halo pur et Jérôme invente une nouvelle forme d’amour : « jamais entre eux aucune caresse. Il avait le sentiment que l’enfant ne tolérait aucun baiser, aucune accolade ». Mais cette fugue vers l’enfance est dangereuse et il faut bien, un jour, rentrer. Ce roman a un goût amer, le goût de la désillusion, celle peut-être qui frappa la génération d’entre-deux guerres : « j’ai perdu toute confiance en mes collègues confie Jérôme, l’homme qui nous libérera de l’homme ne viendra plus. » Ce récit aux accents nietzschéens séduit par sa fluidité, son originalité à traiter un profond mal être avec « politesse » comme dirait Giraudoux.

Bella, suivi de cinq fragments extraits de La France sentimentale, préfacé par ALMEIDA Pierre d’, Paris, Livre de poche, 1991 (1ère édition : 1926).

Bella, suivi de cinq fragments extraits de La France sentimentale, préfacé par ALMEIDA Pierre d’, Paris, Livre de poche, 1991 (1ère édition : 1926).

« Elle semblait neuve, ne pas avoir eu d’enfance, être nouvellement créée, et tout l’artifice de notre vie sur cette terre était dénoncé à sa vue, les ennuis de la gravitation, la complication de la respiration humaine. »

   À sa parution, en janvier 1926, Bella (sous-titré à partir de 1929 « Histoire des Fontranges ») fut reçu comme un roman politique avec clefs, Giraudoux y transposant le conflit entre son protecteur Philippe Berthelot et Raymond Poincaré. Le ministre Rebendart a décidé de compromettre dans un scandale son ennemi René Dubardeau, et de ruiner ainsi la réputation de sa famille, dont il tient les membres, tous illustres, pour « les féodaux du régime ». Or le narrateur, Philippe Dubardeau, fils de René, est en secret l’amant de la bru de Rebendart, Bella, qui meurt en s’efforçant de réconcilier les adversaires, « d’agrafer les deux honneurs, les deux courages, les deux générosités du caractère français ». Mais cet affrontement ne résume pas le roman, qui est aussi une chronique de 1924, et Bella elle-même, figure pourtant rayonnante, est loin d’y être omniprésente. Le chapitre central et le dernier sont ainsi consacrés à l’histoire de son père, Fontranges, grand seigneur qui porte déjà le deuil de son fils ; il est présenté au narrateur par le banquier Moïse, qui a pris la défense de Dubardeau devant Rebendart : leur parallèle formera l’ossature d’Églantine.

Choix des élues, Livre de Poche, 1991 (1ère édition : 1939)

Choix des élues, Livre de Poche, 1991 (1ère édition : 1939)

« La femme est rare. La femme est forte, elle enjambe les crues, elle renverse les trônes, elle arrête les années. Il faut fuir quand on la voit, car, si elle aime, si elle déteste, elle est implacable. Sa compassion est implacable. Mais elle est rare ».

Roman de 1939, Choix des élues est une variation féminine d’Aventures de Jérôme Bardini. La petite Claudie, l’enfant terrible d’Edmée, pousse sa mère à quitter le foyer conjugal : la fugue dans un jardin publique est suivie d’une nuit dans un hôtel, d’un séjour à Santa Barbara, d’un départ pour Hollywood puis San Francisco. Lorsque Claudie, l’enfant talisman abandonne sa mère, celle-ci continue à fuir, seule. Ce récit offre de superbes chants d’amour et les mots se bousculent, prolifèrent, exclamations euphoriques et interrogations inquiètes scandent le texte : « moi, je t’aurais hissé à ma hauteur, au-dessus des autres femmes, des autres mères, des autres filles. Moi, je t’aurais trouvé une place entre le milan et la mouette. Moi, je t’aurais trouvé une place entre l’agate et le diamant. » Sur la route d’Edmée, un directeur de studio qui ressemble à un toucan, une carrière d’actrice, des retrouvailles avec Frank le peintre, une femme qui attend le retour de sa sœur morte et toujours cette souffrance qui étreint la poitrine, qui coupe le souffle et qui ne laisse aucun repos dans la vie. Un jour, ce sera le tour de Claudie…

Combat avec l’ange, introduction et notes de DAWSON Brett, Paris, Livre de poche, 1994 (1ère édition : 1934).

Combat avec l’ange, introduction et notes de DAWSON Brett, Paris, Livre de poche, 1994 (1ère édition : 1934).

« C’était pourtant l’occasion rêvée pour un miracle. L’ange déguisé qui arrive »

Faut-il se préoccuper des malheurs quand vous faites partie de la race des heureux ? Faut-il vraiment s’en soucier parce que vous avez pour amant le collaborateur d’un grand homme d’État près de mourir (Briand) qui lutte pour sauvegarder la paix en Europe ? et quand vous vous sentez ignorante, indigne de l’homme que vous aimez parce que vous vous êtes formé de lui, un soir, sur un pont, une image trop parfaite ? On est en 1932, à Paris, et Maléna, jeune et riche Argentine, va découvrir la misère du monde. Elle va vouloir se rapprocher de son amant à force de scrupules, de culpabilité, de dévouement. Au bord de la déchéance et du suicide, à quoi son amant alarmé va la faire échapper, elle sera sauvée. Mais c’est bien un « combat avec l’ange », rêve nocturne ou révélation démarquée de la Bible, qui va la rejeter sur la plage du bonheur. La dernière page du roman peut ainsi faire toute sa place à la sérénité, à la chance des heureux, et avec la paix retrouvée pour le monde, à la merveilleuse précarité de l’instant. Ce roman du suspense (que va-t-il advenir de Maléna égarée dans la « triste aventure » du siècle ?) est écrit sous le signe de l’humour. Dieu lui-même en est plein : il parle longuement avec Maléna au champ de courses de Chantilly ! L’heure de la tragédie proche n’a pas encore sonné.

Les Contes d’un Matin, Gallimard, Folio, 1999

Les Contes d'un Matin, Gallimard, Folio, 1999

« Je sortais des bras de Mme Sherlock Holmes, quand je tombai, voilà ma veine, sur son époux » (D’un cheveu)

C’est là le tout premier Giraudoux, quand il était rédacteur au Matin et écrivait de temps en temps, de 1908 à 1911, un conte pour ce journal. Onze contes au total, exercices de style et d’humour. Il s’y montre léger, parfois trop (c’est pour lui une récréation), railleur ou gentiment drôle, et joue déjà continuellement avec les mots et les clichés. Mis à part deux pastiches très réussis, d’Homère et de Conan Doyle, il s’agit surtout de faits divers fantaisistes, occasion d’animer les silhouettes traditionnelles d’un Paris populaire dont La Folle de Chaillot se souviendra. Un certain Giraudoux s’y annonce, qui se refuse encore à toute émotion. Mais des thèmes déjà lui appartiennent : le double, le hasard, le destin. Un des contes est même curieusement tragique, dire lequel exception dans un recueil qui témoigne surtout de l’insouciance de la jeunesse et de celle d’un siècle à son début. À noter que l’on joint souvent à ces contes une nouvelle antérieure de 1904, Premier rêve signé (ou Le Dernier rêve d’Edmond About), qui est d’une esthétique tout autre, et qui raconte un rêve et un amour de rêve, d’un soldat avec la femme d’un préfet. L’humour était déjà là, et l’onirisme annonçait une tonalité majeure de l’œuvre à venir.

Liste des Contes : Le Cyclope - L'homme qui s'est vendu - Le banc - D'un cheveu - Au cinéma - L'ombre sur les joues - Guiguitte et Poulet - La lettre anonyme - La surenchère - La méprise - Une carrière

L’École des Indifférents, (1911)

L'École des Indifférents, (1911)

« De grandes ressemblances balafrent le monde et marquent ici et là leur lumière. Elles rapprochent, elles assortissent ce qui est petit et ce qui est immense. D’elles seules peut naître toute nostalgie, tout esprit, toute émotion. Poète ? je dois l’être : elles seules me frappent ».

 L’École des indifférents, deuxième publication de Giraudoux, en 1911, après Les Provinciales, est un essai de définition de l’existence en même temps que le manifeste inquiet et ambitieux d’un écrivain. Le succès qu’il a rencontré avec ses Provinciales l’oblige à faire au moins aussi bien. L’ouvrage présente en triptyque les tribulations essentiellement sentimentales, mais aussi artistiques de trois jeunes gens : « Jacques l’Égoïste », « Don Manuel le paresseux » et  « Bernard, le faible Bernard », qui ont en commun de mener à Paris une vie relativement aisée. Ils ont aussi en partage un indubitable sentiment de supériorité, une certaine volonté d’esthétisme et de dandysme, et une nonchalance parfois quelque peu agaçante pour le lecteur qui rêverait d’action. Ces différents personnages sont autant de projections partielles de l’auteur, comme en atteste la récurrence des images de reflets, traduisant l’impossibilité de dire le monde sans se dire. Ce triptyque est donc une sorte de roman d’artiste, présentant en creux ce que serait l’œuvre idéale selon son auteur.

Églantine, (1927)

Églantine, (1927)

Églantine, paru en 1927, raconte le jeu amoureux qu’une jeune femme exerce tour à tour auprès de l’aristocrate Fontranges et du riche banquier Moïse ; ces deux sexagénaires ont déjà été présentés dans Bella. L’un et l’autre successivement séduits et trahis traversent une crise de neurasthénie dont ils doivent se guérir. Églantine témoigne d’abord de son temps : c’est le climat des années folles qui est restitué, le Paris du luxe, de la fête et de la mode, celui qui découvre le jazz. C’est aussi l’époque de La Garçonne dont Églantine est l’élégante incarnation. Mais le roman invite également à une méditation politique : opposer Fontranges et Moïse, revient à confronter les prestiges de l’Orient et la nostalgie du grand siècle français ; ou bien une France terrienne, fossilisée et une France de la grande finance, de la modernité, des échanges internationaux. Construite en variations successives autour du motif amoureux, pudiquement sensuelle, cette « histoire d’un marivaudage » fait peut-être d’Églantine le plus poétique des récits de Giraudoux.

Elpénor (1926)

Elpénor (1926)

« L’avenir, ô vieilles filles, est à la flûte, et je donne rendez-vous dans trois mille ans à Apollon. Car la lyre est un instrument divin, c’est-à-dire mécanique, stérile, commandé par la technique, tandis que la flûte, ô Muses, est le souffle même de l’homme, créature indomptable et qui emmerde les dieux ! » (« Nouvelles morts d’Elpénor »)

On pourrait l’appeler « Elpénor ou l’envers du décor ». Dans quatre textes juxtaposés dont l’écriture s’étale sur presque vingt ans (« Le cyclope », 1908 ; « Les sirènes », 1912 ; « Morts d’Elpénor », 1919 ; « Nouvelles morts d’Elpénor », 1926), nous voyons peu à peu la figure d’Ulysse, le héros de l’Odyssée, s’effacer au profit de celle de l’obscur Elpénor dont la présence dans tout le poème d’Homère n’excède pas 51 vers (et encore s’agit-il pour l’essentiel des rituels liés à sa mort).
Elpénor, c’est une vision burlesque de l’épopée, c’est « le Charlot de " l’Odyssée" ». Plus stupide que le moins fin des compagnons d’Ulysse, il est en permanence un danger pour ses compagnons. Mais Ulysse ne parvient pas à s’en débarrasser ; au contraire, c’est lui qui est exclu de sa propre histoire par ce minable malmené par la vie, par ce « cerveau de crétin » dont « un pigeon n’eût pu tirer parti ».
Ce livre plein de souvenirs scolaires et d’allusions savantes à la versification grecque, est une contre-épopée dont l’antihéros nous conduit à nous interroger sur la validité et la légitimité des légendes épiques les mieux attestées. Elpénor affirmant avec une grande force de conviction la liberté humaine malgré le sadisme des dieux, nous sortons du canular pour entrevoir une autre dimension à cette œuvre méconnue.

Textes qui composent Elpénor : Le cyclope - Les sirènes - Morts d'Elpénor - Nouvelles morts d'Elpénor

La France sentimentale, (1932)

La France sentimentale, (1932)

« Ma jeunesse me retombait comme un doux rocher de Sisyphe. »

La rédaction des romans de Giraudoux est une opération au cours de laquelle des fragments sont séparés du projet initial puis développés et publiés de façon indépendante. Ainsi naît La France sentimentale, volume composé de onze textes, provenant des premières versions de Bella, et de Siegfried et le Limousin. On trouve aussi un chapitre séparé de Aventures de Jérôme Bardini, et un autre issu des divers remaniements de Simon le pathétique.

Chacun des fragments choisis se rattache à la thématique de la crise et des tentatives de guérison, en développant des motifs transversaux récurrents dans l’œuvre de J. Giraudoux : l’obsession d’une faute originelle qui inhibe les pulsions de vie, la difficile réinsertion des combattants dans la société de l’après Grande Guerre, la quête d’un appui paternel, la volonté de concilier le rationalisme français et l’instinct poétique allemand, l’harmonie brisée entre l’homme et la nature, les stratégies pour apprivoiser l’approche de la mort, les malentendus du couple. Tous ces récits d’épisodes de vies perturbés révèlent des points sensibles dans la psychologie profonde de J. Giraudoux, qui ont probablement joué un rôle déterminant dans son parcours d’homme et d’écrivain.

Textes qui composent La France sentimentale : Je présente Bellita - Visite chez le prince - Hélène et Touglas - Le Signe - Mirage de Bessines - Plais de glace - Français amoureux aux Jeux Olympiques - Attente devant le Palais-Bourbon - Le couvent de Bella - Fontranges au Niagara - Sérénade 1913 -

La Grande Bourgeoise, édition présentée, établie et annotée par DUNEAU Alain, e-book, Nouvelles lectures, 2015 (1ère édition : 1928)

La Grande Bourgeoise, édition présentée, établie et annotée par DUNEAU Alain, e-book, Nouvelles lectures, 2015 (1ère édition : 1928).

« Jamais, même sur des vieillards, Françoise n’avait vu si usées les joues et les prunelles. Ce visage servait à frotter, à laver. « L’immobilité de l’enfant était effrayante ».

Cette brève nouvelle (moins de trente pages), d’une construction presque théâtrale, est l’histoire de la rencontre imprévue et imprévisible (elle commence par un trio amoureux), d’une « grande bourgeoise » et d’un jeune adolescent révolté, enfant trouvé qui vient de s’échapper d’une maison de correction (on appelait ainsi les centres dits aussi de « rééducation » des enfants). Rencontre de quelques heures, la nuit, mais qui suffit pour tout changer. Chez la femme du moins, et dans la sensibilité au monde dont ce texte témoigne : à côté des heureux, le malheur subsiste. L’évadé quant à lui va retrouver au matin son univers carcéral habituel. Rencontre d’un réprouvé avec la beauté et la richesse, marquée par le merveilleux et la poésie, et par la pudeur d’un dialogue difficile qui peu à peu s’établit, se brise. La découverte est capitale : une certaine forme de liberté a été vécue. Sans attendrissement, avec un humour amer, Giraudoux sait très bien émouvoir quand il touche du doigt l’injustice dont souffrent trop souvent des enfants.

Juliette au pays des hommes (1924)

Juliette au pays des hommes (1924)

« Vérificatrice de l’irréel, de l’inimaginable, du non-révolu, Juliette s’étonnait de retrouver les êtres qu’un de ses désirs d’enfant avait attirés un quart d’heure à l’existence emportés désormais par l’âge, soumis au contrôle des concierges, et marqués, pour qu’elle n’eût pas de doute sur leur qualité humaine, d’une dent d’or ou d’un coryza. »

Reprenant, à la troisième personne, le parcours de Suzanne et le Pacifique préciser année), ce récit s’inspire avec humour du schéma du roman de formation pour apposer un certificat de conformité toute relative de la réalité à l’absolu du rêve enfantin : Juliette, en provinciale intuitive et intrépide, s’autorise quelques vacances avant son mariage pour expérimenter « l’inconnu ». Cette fonction de vérification s’exercera plutôt aux dépens des hommes rencontrés : les savants sont d’émouvants maniaques, Ratié est un Narcisse repoussant, l’archéologue Daudinat confond motivation érotique et quête du savoir, le spécialiste du monologue intérieur est un être « tout dégouttant de pensée-parole », tous éprouvent des difficultés à rétablir la circulation des échanges et du désir. Seul le narrateur en position d’écrivain assure, le temps de lire à Juliette sa « Prière sur la Tour Eiffel », le nouage adéquat entre pulsion et intellection, entre nature et culture. Toutes ces expériences vaudront comme prise en compte du principe de réalité et comme apprentissage (utile dans le dernier épisode avec le Russe Boris) de la sublimation à travers un régime minimal d’échanges. Le récit au féminin apparaît ici comme le mode d’expérimentation fantaisiste d’une série d’ajustements entre réel et imaginaire qui situe ce livre dans la filiation d’Alice au pays des merveilles, non sans qu’apparaissent quelques points de rencontre avec la Juliette du divin Marquis.

La Menteuse, (1969, 1ère publication posthume en 1958)

La Menteuse, (1969, 1ère publication posthume en 1958)

Roman inachevé, probablement parce qu’il comportait des cellules autobiographiques trop intimes, La Menteuse a été rédigé à la même époque que Choix des élues ; il a été publié à titre posthume, en 1958, puis dans son état actuel en 1969. L’intrigue repose sur un Reginald, qui s’est toujours dérobé à l’amour dans l’attente de découvrir son égale. Cette femme parfaite pourrait être Nelly, rencontrée par un hasard romanesque sur la terrasse de Saint-Germain-en-Laye. Alors qu’ils se sont accordés à ne rien raconter de leur vie, Réginald invente à son amante une « légende », ou un « chant ». Or Nelly, qui mène en réalité une existence bourgeoise auprès d’un Gaston plutôt médiocre, se trouve acculée au mensonge ; elle a désormais une vie double ou « alternante » : auprès de Réginald elle est cette femme idéale conforme à la légende, et auprès de Gaston elle redevient une petite femme frivole. La « Menteuse » sera démasquée, puis en quelque sorte sauvée par l’intercession de Fontranges… Roman d’amour, La Menteuse est aussi une méditation sur l’invention littéraire, et les dangereuses séductions de l’imaginaire.

Provinciales, (1909)

Provinciales, (1909)

Paru en 1909 chez Grasset, Provinciales est le premier livre publié de Giraudoux. Il s’agit d’un recueil de nouvelles (comme « De ma fenêtre », « Le petit duc », « Sainte Estelle » ou « La Pharmacienne »), qui comporte aussi trois poèmes en prose, intitulés « Allégories » (« À l’amour à l’amitié », « La Nostalgie », « Le Printemps »). Les nouvelles ont pour cadre la province originelle, et rapportent des histoires d’enfants malades ou d’adolescents rêveurs. On y rencontre déjà des personnages qui peupleront les œuvres ultérieures : des vieillards, des petits fonctionnaires, des femmes troublantes, un poète, une sainte malgré elle et des animaux drolatiques… Ces scènes de la vie provinciale sont traitées avec humour et poésie ; elles sont parfois pimentées d’une subtile cruauté. Art de l’esquisse, attention minutieuse au détail : une esthétique singulière est en germe.

Textes qui composent Provinciales : De ma fenêtre - Sainte Estelle - Le petit duc - Allégories - La pharmacienne

Siegfried et le Limousin suivi de Siegfried et La Fin de Siegfried, préface et notes de BODY Jacques, Paris, Livre de poche, 1991 (1ère édition : 1922)

Siegfried et le Limousin suivi de Siegfried et La Fin de Siegfried, préface et notes de BODY Jacques, Paris, Livre de poche, 1991 (1ère édition : 1922).

« Tous les Allemands que j'avais vu passer ce seuil, en somme, musiciens, banquiers, princes libéraux, sans parler des princesses nageuses, n'étaient autres que ceux qui gardent depuis des siècles l'or du Rhin, si l'or du Rhin représente la naïveté, la pompe, la douceur allemande, et c'était à eux que j'avais à ravir Forestier »

En janvier 1922, le narrateur apprend que le célèbre juriste allemand Siegfried von Kleist est en réalité son ami français, l'écrivain Forestier, recueilli amnésique dans un hôpital du front. Il part donc pour Munich où grâce au baron Zelten il identifie son ami. Mais il retrouve également ses souvenirs d'avant-guerre de germaniste boursier et certaines jeunes femmes qu'il avait alors connues. Il assiste au centenaire de Goethe, traverse une révolution menée par des israélites russes, et découvre les pulsions contradictoires de l'Allemagne nouvelle prête à la revanche. Après avoir vécu la Passion à Oberammergau, il rentre avec Forestier dans le Limousin de son enfance.
Ce roman qui décrit Munich et les paysages de la Bavière, Berlin et sa vie nocturne, mêle politique, ironie et poésie. Son écriture originale est rendue complexe par de nombreuses digressions historiques ou littéraires qui font référence à l'Allemagne (de Dürer à Wagner, de Goethe à Louis II) telle qu'un Français cultivé pouvait la voir, après avoir fait la Grande Guerre... Et ce voyage germanique s'achève sur une célébration émue de la Province française !
Giraudoux adapta son roman (couronné par le Prix Balzac 1922) pour le théâtre. Siegfried fut créé en 1928 à la Comédie des Champs-Élysées par L. Jouvet.

Simon le Pathétique, (1918)

Simon le Pathétique, (1918)

«Demain je revois Anne... Vais-je l'aimer ? Demain tout recommence... »

Dans ce premier roman, Simon, double de Giraudoux, évoque l’histoire aussi mystérieuse que mouvementée de sa vie intérieure, depuis son parcours de lycéen modèle et d’étudiant brillant à qui tout réussit en passant par son voyage en Europe et  jusqu’à son retour en France. La rencontre des jeunes femmes, Gabrielle, Hélène et Anne enfin, ainsi que la découverte du sentiment amoureux déterminent alors un “rien ne va plus” romanesque rythmé par la succession allégorique des saisons.

Jeunesse et amour sont les deux thèmes d’un roman, poétique par le bonheur de ses trouvailles littéraires aussi continuelles que brillantes, initiatique par le parcours sentimental de son héros, amarré à une quête de soi où, de l’amour naissant à l’amour qui se fuit, les cruelles nuances de l’âme au quotidien se transfigurent dans le prisme féerique de la giralducie.

Suzanne et le Pacifique, Livre de poche, 1997 (1ère édition : 1921)

Suzanne et le Pacifique, Livre de poche, 1997 (1ère édition : 1921)

« C'était pourtant un de ces jours où rien arrive, où, comme les poules quand la pluie va durer, sentant que jusqu'au soir la vie sera monotone, les astres occupés d'habitude à la varier sortent sans emploi et voisinent ».

Suzanne et le Pacifique est l'histoire d'une jeune habitante de Bellac, Suzanne, qui, ayant gagné un voyage autour du monde, s'embarque sur un bateau qui fait naufrage. Suzanne échoue sur un archipel dont la seule identification qui convienne est celle d'un ailleurs paradisiaque, d'un monde originel. C'est Suzanne qui, de retour à Bellac, raconte son aventure. Si ce récit rappelle la trame de Robinson Crusoë, il s'en écarte nettement par le regard féminin et pleinement disponible que Suzanne, à la fois écrivain et personnage, porte sur ce qui l'entoure, sur elle-même, et sur son écriture. En effet ce roman se présente aussi et surtout comme une aventure de l'écriture : dans cet univers inconnu et solitaire, Suzanne perd les traces de sa mémoire passée ; elle va alors s'éveiller à un langage nouveau, « une langue à moi seule », écrit-elle, langue dont la force poétique nomme et crée simultanément. De retour en France, Suzanne voit « comme on ne sait plus voir ».
Voyage réel ou voyage immobile, ce roman régénère l'œil du lecteur et l'entraîne dans une aventure insulaire proprement initiatique.