Sodome et Gomorrhe

Sodome et Gomorrhe, Grasset, 1984 (1ère édition : 1943)

« Le monde s’est dédoublé, et nous avons chacun le nôtre » (I, 1)

Un seul couple juste pourrait sauver Sodome et Gomorrhe. Cet argument biblique réactualisé sur fond de « mal des empires » - reflet probable des années sombres - détermine un huis-clos tragique et un affrontement verbal d’une extrême violence. Lia et Jean expérimentent ce déséquilibre du couple humain qui fait que chaque sexe vit pour son propre compte. Ni la recomposition sur la base de l’échange des partenaires, avec Ruth et Jacques, ni l’invitation de l’Ange à « mimer son devoir » pour préserver l’institution divine de l’amour, ni la tentation d’offrir à Dieu le front uni d’une résistance à sa colère n’y changeront rien : l’orgueil masculin et l’hystérie féminine auront le dernier mot et consacreront moins le désaccord « sexuel » que l’incapacité à décliner une identité imaginaire stable dans la relation amoureuse à l’autre. Ce constat réduit la pièce à une action purement verbale et imprime à l’échange le caractère d’une dialectique impitoyable. La tonalité amère est à peine rehaussée par les éclats du sarcasme introduits par le contrepoint comique du couple Samson - Dalila et par les interventions, dans un registre plus élégiaque, du Jardinier. Cette œuvre austère maintient cependant jusqu’au bout un lyrisme puissant qui, sur son versant singulier - celui du désespoir -, vient chercher Claudel sur son propre terrain.