Pour Lucrèce

Pour Lucrèce, (1ère représentation : 1953)

« Je connais cette femme. Elle est la pureté même, mais la pureté est comme la sainteté, un débordement de l’imagination » (acte II, scène 1).

Tragédie ou mélodrame ? Cette pièce sombre, écrite en 1943, n’a été créée par Jean-Louis Barrault que 10 ans plus tard au Théâtre Marigny. Le titre fait allusion au viol de Lucrèce par Sextus Tarquin, mais l’action se déroule à Aix-en-Provence sous le Second Empire. C’est une histoire scabreuse qui prend sans doute à contrepied le climat moral vichyste : pour se venger de l’ordre moral que fait régner Lucile, la femme du procureur, Paola lui fait croire, après l’avoir endormie, qu’elle a subi un viol. La victime, troublée, finit par se suicider quand elle apprend qu’il n’a pas eu lieu. La pièce met aux prises deux femmes, l’une libertine et fière de l’être, l’autre prude qui dénonce les couples infidèles. L’essentiel de l’action est occupé par leurs duos, mais il s’y mêle des péripéties : un mari trompé défie en duel (par amour pour Lucile ?) le libertin-violeur supposé, lequel meurt en s’offrant aux coups de son adversaire (parce que la pureté de Lucile l’attirait ?). Le viol fictif a entraîné des effets de trouble érotique, et la façade morale qu’affichaient le procureur et sa femme s’effondre comme château de cartes. Reste la nostalgie d’une « pureté » qui n’est pas de ce monde. Ce faux viol est une « visitation » qui répète de façon beaucoup plus crue celle d’Amphitryon 38, et dont les effets psychologiques sont examinés au scalpel. Il y a dans cette pièce une violence sauvage qui rappelle parfois Strindberg.