Electre

Électre, édition présentée, établie et annotée par LANDEROUIN Yves, Paris, Garnier-Flammarion, 2015 (1ère édition : 1937).

« Femme Narsès : Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève […] et que tout est gâché, et que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent […]

Le mendiant : Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore ».

 Électre reprend un épisode du cycle troyen : la vengeance qu’Électre et son frère Oreste vont accomplir en assassinant leur mère, Clytemnestre, et son amant, Égisthe, pour le meurtre ancien d’Agammenon, le roi d’Argos.

Giraudoux introduit plusieurs changements d’importance dans le matériel hérité de la tradition : au début de la pièce, Électre ignore encore que son père a été assassiné. La pièce se double donc d’une enquête qui amène à la révélation progressive de la vérité qui n’est pas sans faire penser à Œdipe Roi. Par ailleurs, Giraudoux élargit la tragédie familiale en donnant une dignité nouvelle au personnage d’Égisthe qui acquiert au fil de la pièce la grandeur véritable d’un homme d’État préoccupé du salut de son peuple, son affrontement avec Électre s’apparentant dès lors à celui d’Antigone avec Créon, tel que Hegel a pu l’interpréter.

Giraudoux s’est aussi attaché à faire de sa pièce une chose légère et rapide, à la fois par le brillant des dialogues et par le jeu constant sur les ruptures de ton, passant du tragique au vaudeville avec le couple du président du tribunal et de sa femme volage, ou encore à l’élégiaque et au bucolique avec la figure typiquement giralducienne du jardinier.

Mais dans le même temps il en fait une réflexion sur le destin et le tragique, notamment en faisant des traditionnelles Érynies, déesses de la vengeance, des petites filles dont la croissance se déroule en accéléré durant la pièce et surtout à travers la figure énigmatique du Mendiant, à la fois spectateur ironique et amusé de l’intrigue et figure prophétique annonçant le destin. Du fait de cette richesse thématique, de la profondeur du jeu avec l’héritage et de l’élégance de la langue, Giraudoux réussit avec Électre sans doute une de ses plus belles pièces.